Une Vie Trépidante (épisode 3)




Une Vie Trépidante 
(épisode 3 : An american slasher story)


Dans l'épisode précédent :  Un démon ayant établi son logis dans mon oreille sans mon accord, je décidais de profiter de l'occasion pour réaliser une purification spirituelle.


8 heures + 45 minutes : J'émerge lentement, tirée du sommeil. Aussitôt je répète à voix haute ma prière quotidienne :

 " Je n'accepterai plus la violence infligée du réveil forcé. 
Je dormirai quand je veux et s'il faut feindre, et bien je ferai semblant d'être au monde alors que je me repose dans mon lit. 
Je me copierai, double mais absente, 
toute occupée au songe et à la mollesse. 
Vous ne m'aurez plus bande de cancrelats.
Je serai pauvre s'il le faut
mais croyez moi...vous me laisserez dormir ! "


Début d'après-midi : à cause d'une chaleur infernale, les neuf bougies du grand lustre en cristal de la salle de bain fondent une à une. La cire goutte sur mes cheveux défaits, l'ensemble poisse et s’emmêle.

MAIS IL ME FAUT FAIRE UNE COURSE IMPORTANTE.

OUI VOYEZ MA BOUTEILLE DE BUTANE EST VIDE.

Direction la station. 

Quatorze-heure : Je suis en chemin sous un soleil brûlant. La station borde l'autoroute et se trouve à quelques bonnes heures de marche. 

Comme j'entretiens mes triceps, que je masse régulièrement radius et cubitus avec de l'huile de lin et qu'enfin j'agite compulsivement mes bras dans les airs en prononçant d'intenses braillements les jours d'orage, je n'ai aucune difficulté à porter de lourdes charges.
Il n'empêche que je suinte comme je n'aurais jamais pensé pouvoir suinter.

Dix-neuf-heures-trente : Je touche au but, la gomme de mes semelles s'est désagrégée au fil de mes pas et me voici les pieds nus sur le goudron fumant. Oui, il faudra bien admettre que j'ai cuit comme une vieille viande un dimanche de barbecue dans un quartier pavillonnaire.

Le jour tombe et le ciel rougeoie. Il me faut contourner les pompes à essence et éviter les flaques de gazole dans l'espoir de préserver mes plantes roussies. 
J'aperçois au loin le vendeur de la supérette qui me fait signe de m'activer. 

- J'AI MAL AUX PIEDS !!! lui hurle-je en rapprochant les mains autour de ma bouche pour amplifier le son.
- DE QUOI DONC ?

Je lui montre mes pieds de loin, il hausse les épaules.

- JE VAIS FERMER LA BOUTIQUE !

J’accélère le rythme et parviens jusqu'à lui.

- Ben moi j'ai mal aux pieds figurez-vous. Et je dois changer ma bouteille de butane, elle est consignée. 

Je lui lance l'objet qu'il réceptionne au vol. Il se dirige ensuite vers la réserve de bouteilles pleines et nous exécutons la transaction. 

Dix-neuf heures quarante : Il est désormais temps d'emprunter le chemin du retour, mais j'aperçois de l'autre côté de l'autoroute un petit terrain de basket urbain, tout en-grillagé, avec un sol en revêtement thermoplastique. Il me prend l'envie de me détendre quelques instants avant de reprendre la route. J'effectue une dizaine de tirs francs avec un ballon imaginaire (mais malheureusement pas assez gonflé), quand brusquement, il me semble apercevoir à 180° une vision exceptionnelle.

Sur un coin du terrain, se trouve une charogne non identifiable, d'environ 1 mètre 50. Quelque chose entre le phacochère et l'éléphanteau mais avec de longs poils drus. C'est tout à fait incroyable, de petits insectes lui ronge les viscères et il n'a pas l'air de s'en plaindre.

- Mais qu'est-ce donc que ce carnage ? (me dis-je) 

Tout à coup, le poids de l'atmosphère semble peser tout entier sur mes épaules et l'air devient irrespirable. Je jette un œil à mes pieds ensanglantés puis à notre étrange cadavre et voilà que je fais un petit malaise vagal sur le terrain urbain.

Vingt-et-une-heure-cinquante-cinq : Lorsque je reprends conscience, la nuit est déjà presque entièrement tombée et la charogne a disparu, tout comme mon ballon imaginaire. 
Je me relève, récupère ma bouteille de butane et décide qu'il est grand temps de rentrer. 

Vingt-deux-heures-quarante-cinq-et-des-bananes : Après une heure de marche, je coupe à travers champs car le bruit de l'autoroute devient franchement désagréable. Au loin, j'aperçois une maison aux fenêtres éclairées. Peut-être y trouverais-je de charmants hôtes disposés à m'offrir le gîte pour la nuit ? 

Frappant à la porte plusieurs minutes d'affilée sans obtenir de réponse, je m'assois un moment, dos à ma bouteille de gaz. Je chantonne un répertoire varié et plutôt festif, puis, lassée je décide d'entrer. 

Je pénètre dans une cuisine, somme toute assez classique, dont la table placée au milieu se nappe d'un tissu vichy et accueille sur son plateau, comme si c'était son propre enfant-table, un large bol de crème anglaise. 

Je scrute avec grande attention le contenu du bol. La crème arbore une belle couleur laiteuse, un joli blanc-cassé rehaussé d'éclats bruns provenant d'une gousse de vanille fort odorante. 
La consistance est voluptueuse, c'est magnifique. 
C'est une très très très belle crème anglaise, comme j'en ai rarement vu.
Je me sens obligée d'applaudir un bref instant puis je continue ma visite en pénétrant à l'intérieur d'un couloir étroit, long d'une vingtaine de mètres, et dont le sol est recouvert de vieux carreaux de ciment à l'allure portugaise.

Quand soudain, alors que j'observe avec grande attention les quelques paysages en peinture à l'huile accrochés au mur, j'entends grincer la porte d'entrée. Suivent de lourds pas de bottes provenant de la cuisine. 
Les pas se rapprochent jusqu'à moi et j'entrevois dans l'encadrement du couloir un couple d'une cinquantaine d'années qui me toisent avec un air colérique.

- COMMENT AVEZ-VOUS OSÉ ?!
- Bonjour déjà.
- BONJOUR PARDON, COMMENT AVEZ-VOUS OSÉ ?!
- J'ai vu de la lumière je voulais....
- ET LA LUMIÈRE ÇA DONNE LE DROIT DE MANGER LA CRÈME PEUT-ÊTRE ?
- ...HEIN ? 
- VOUS AVEZ MANGÉ LA CRÈME ANGLAISE !!
- HEIN ?! Mais non pas du tout !
- ON VA VOUS TUER !
- ????????§§§§§§§!!!!!!!!!!@@@@???? !!!

Sur ce, l'homme sort un large couteau de boucher de derrière son dos. Tout d'abord saisie d'incrédulité et par l'injustice de l'accusation, mes membres ne semblent plus répondre. Je parviens cependant à me jeter au sol et enfin je roule sur la faïence portugaise du plus vite que mon corps le peux. 

J'atteins une telle vitesse que le couple peine à percevoir ma silhouette et que, le regard désorienté, ils prennent sensiblement du retard sur la course. 
Arrivée à l'issue de ce couloir sans fin, je cogne contre une porte menant à une petite buanderie exiguë dans laquelle je me précipite.

Je m'enferme grâce à un verrou dérisoire auquel j'accorde une confiance toute relative. Je sais que j'ai peu de temps pour agir et que ces deux gros lourdingues ne tarderont pas à enfoncer la porte.

- COMMENT AVEZ-VOUS OSÉ ?! vocifèrent-ils encore.

Je réalise par la même occasion, au son si distinct de leur voix, que l'épaisseur du bois qui nous sépare est tout à fait mince et qu'un troisième individu, que je comprends être leur homme de main, s'apprête à leur venir en aide. Ils lacèrent tour à tour la porte qui tremble sous leurs assauts. 

- MAIS PUISQUE JE VOUS DIS QUE CE N'EST PAS MOI QUI AI MANGÉ LA CRÈME ! PUTAIN MAIS C'EST DINGUE ÇA !

Quelques minutes plus tard, alors que je me perds dans un monologue sur l'importance de la confiance et de la communication, je comprends qu'ils sont momentanément partis. J'en conclue qu'ils cherchent des outils plus efficaces et que c'est le moment ou jamais de fuir.

J'ouvre doucement la porte de mon abri et me faufile vers la sortie la plus accessible. A peine ai-je fait quelques pas qu'il me revient en tête ma bouteille de butane restée dans la cuisine. J'effectue un petit détour et récupère le précieux combustible. 

Me voici dans le jardin, la rosée fraîche du soir apaise mes pieds nus encore douloureux. 
La lumière du couloir portugais se rallume brutalement, je plonge vers l'herbe mouillée et rampe lentement jusqu'à la sortie. 

Heureusement, un tramway passe justement à ce moment précis. Je m'y précipite et rentre à la maison. 


Suite au prochain épisode. 

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