Vous êtes nombreux ici, vous vous agitez sous le blanc verdâtre du cuir crânien.
Drôle de chose assoiffée et exsangue à vouloir vivre mille vies, vous me happez vers des lieux où je crois m'être rendue il y a déjà des siècles.

Ce que je raconte, vois-tu, ce sont des couleuvres. De petits signaux pour dire sans dire ce qui m'émeut, me tracasse, et là où ça m’abîme. Pour porter hors de moi le plat de nouilles noires et molles qui se cuisine dans mon estomac bouillant quand je me mêle à l'autre. 
Je n'aime peut être rien autant qu'observer vivre mes semblables et l'étonnement sans cesse renouvelé qu'ils provoquent en moi. 
Il m'en coûte un repos essentiel, mais lorsque je capte ce tout petit détail du visage qui s'incline, la grâce de ce qui fuit au travers, comment la lumière a percé et le battement léger d'un œil qui fatigue de cet instant où l'on s'interroge sur soi-même : "ne suis-je pas monstrueux ?", et bien, enfin, je me sens liée.
Qu'ils me rassurent ces abandons furtifs, lorsque je perçois qu'à l'intérieur, vous êtes livrés aux mêmes bouillons.
Il y a aussi parfois, des attractions plus fortes. Mais l'on sait bien que c'est le nœud de chaque drame. 
Par la vitre du bus, sous un ciel brouillé, nous suivons le lit d'un fleuve couleur chlorophylle. Je pense à son visage en traversant la Suisse. [combien d'histoires et de secrets se sont installés sur ses épaules pour qu'elle ait autant d'ampleur ?].

Et toi où es-tu? Qui hantes-tu de ton regard si aimé ? Grimpes-tu à ton arbre à Saïgon ?

À deux reprises dans la cuisine, m'affairant au ménage, cuivre récurant la fonte, au milieu des effluves de vinaigre et de bois mouillé, le vent tiède par la fenêtre ouverte a transporté jusqu'à moi cette odeur de lilas.
Pendant les nuits, encore ton corps comme une carcasse. Je repense à tes blagues : "Que prends-tu pour le dessert ?", tu répondais pour rire ; "Donne moi an half banana".


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