Salade chinoise

J'ai pleuré comme une madeleine
Les déceptions, la cruauté, les petits lits mous des siestes d'avant dîner, le dépit, ton regard si tendre envers moi et que je n'aurai plus, pleuré ta voix singulière, l'odeur de la soupe au céleri dans la cuisine, les couvertures rêches trop courtes à cause desquelles le pied dépasse la nuit, la moquette en velours rouge, la cage d'ascenseur, nos rires, nos conversations, nos conversations, nos conversations, nos conversations, ta vitrine aux coquillages, la menthe et la salade qui enroulaient nos nems, ton morceau de météorite, pleuré ton Bouddha qui nous accueillait sitôt passée la lourde porte en bois feutrant à peine le pas de ton chausson contre le parquet, le balcon penché du sixième étage, la nappe en bulle-gomme, tout cet amour qui m'est retiré, j'ai pleuré les reins malades et les incapacités, j'ai pleuré le manque, le manque de liens, j'ai pleuré son amnésie, ses névroses, sa froideur, mes incapacités, la distance, ma maison, mon abri, d'être si peu reliée, d'être tant incapable, d'avoir un cœur friable, j'ai pleuré son départ, j'ai pleuré nos disputes, l'injustice, la folie, les sales montagnes de mes quinze ans, la violence, pleuré d'avoir autant pleuré et d'en avoir les yeux bouffis, de mal respirer, de vouloir fuir, d'avoir peur, tout le temps, de tout, d'avoir honte, si souvent, d'avoir si souvent honte de pleurer.
Pleuré de n'avoir rien à dire, que nous nous comprenions tous si mal, que tout est là mais que tout ne soit que sclérose. J'ai pleuré parce que c'est à la fois comme si c'était hier et comme si cela faisait des années. Je pleure trente ans de souvenirs avec toi, je pleure les lilas sous mes fenêtres.


Je me roule en boule sous la couverture, me terre entre les larges coussins, et me voilà à sangloter sans jamais terminer. Quand j'étais un enfant triste, je me souviens m'être dit que j'avais tant pleuré que je ne pourrais plus jamais produire assez de larmes pour le reste de mon existence. Contraint à vie à la sécheresse oculaire, ce serait toujours ça de gagné.
Février c'est bien un mois pour pleurer, saison nulle, manque d'amour et de lumière. 
Pourtant après viendront les ardeurs détestables de ces étés maudits.


image : Portrait de l'artiste Yayoi Kusama enfant.

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