Une Vie Trépidante (épisode 5)

   image : Andrew Miksys

Une Vie Trépidante 
(épisode 5 : (ou " nique la police "))


9h17 : Sortie de mon immeuble, j'enfourche mon vélocycle pour me rendre à une affaire de la plus haute importance. 
Je suis à l'heure et d'humeur égale, j'entame le trajet, la pédale est souple, la pneumatique idéale, rien ni personne ne me contraint : je suis l'as du volant.
J'ai le temps, alors je compte bien en profiter pour tenter quelques fantaisies matinales. Je commence par des petits sauts réguliers sur le trottoir.
Puis, avançant à pleine vitesse sur le cours Gambetta, je prends l'initiative de réaliser un petit wheeling en toute détente.
Mais alors que j'avance fièrement, le vélo cabré sur la roue arrière, j'entends une voix nasillarde me héler :

- Que cesse immédiatement cette acrobatie et que la chute vous fracture le tarse !!!

C'est la Police Nationale. Deux motards assermentés m'escortent de chaque côté. Sans même trembler, je ramène la roue avant au sol dans une maîtrise pas dégueu.
Je reste digne, descends du cycle, me tient droit, aligne les bras le long de mon corps, relève le menton et les regarde en biais tout en déclarant : - Beau temps, n'est-ce pas ?

- On est la Police !
- Ben oui.
- Et oui ! Vous vous y attendiez pas à celle-là hein ?
- Ben non.
- Alors on fait des cabrioles ? On croit qu'on est le roi du Maroc ? Jean-Luciole, je suis policier et je m'en vais vous verbaliser très salement. Et je vous ai pas présenté mon coéquipier Jérémie ici présent.

Jérémie se tient un peu en retrait, il est tout mou sur sa moto, comme s'il dégoulinait. L’œil vitreux, la tête légèrement inclinée sur le côté et l'expression amorphe, une petite bulle de salive éclate péniblement à la commissure de ses lèvres entrouvertes.

Je fais coucou de la main mais rien ne semble s'allumer sur le visage de l'agent qui n'affiche aucune réaction perceptible, voire aucun signe d'activité cérébrale.

Jean-Luciole reprend :
- En tout cas, c'est très mal ce que vous avez fait. C'était techniquement prodigieux par contre, je n'ai jamais rien vu de si beau.
- C'est pas le cirque du Soleil non plus, exagérez pas...

Un grand fracas se fait entendre et coupe la conversation. C'est Jérémie qui a fait tomber sa moto au sol et qui, un peu hagard, se relève lourdement.

- La béquille Jérém', on vous l'a déjà dit, on met la béquille à l'arrêt. (en aparté à mon attention) Ses muscles ne suffisent pas à maintenir le poids du véhicule.
- C'est bien ce que je me disais aussi...
- Bon c'est pas tout ça, mais je dois vous mettre une amende de...deee...deeeee...MILLE EUROS !!!!
- MILLE EUROS ?!!
- Ben ouais, ça vous apprendra à faire l'andouille en vélo.
- Mais vous avez pas d'âme ou quoi ?!
- Tututute ! je veux rien entendre, c'est moi la police, c'est moi qui décide tout seul. (Il se tourne vers son collègue) Jérémie, vous me passez la bidouillette là, le machin, le truc électronique pour rentrer l'identité du contrevenant.

(Pas de réaction)

- Jérémie ?

(idem)

- OOOH ! JEREMIE LA OH !!!

Jean-Luciole lui assène alors une bonne mandale derrière la nuque, ce qui semble immédiatement reconnecter les fusibles. L'agent sort l'appareil de sa poche et lui tend avec un sourire aimable.

- Bon. C'est quoi votre nom ?
- WOOL. Double v, deux o, l.

Il tape intensément sur la machine, l'éteint, la rallume, appuie sur plusieurs boutons pendant de longues minutes mais rien ne se passe. Pendant ce temps là, Jérémie a sorti une épuisette et tente de chasser sans succès les papillons qui virevoltent autour de nous.

- ça marche pas. On va devoir vous emmener au poste pour vous contraventionner.
- Pfff, ça va...Je recommencerai pas, j'ai compris.
- Nan, c'est mille euros j'ai dit. Allez, on l'embarque.



(ellipse)

10h20 : Nous arrivons au commissariat principal.

C'est un long bâtiment soutenu par plusieurs colonnes, à l'architecture d'inspiration communiste. Nous passons l'entrée et je suis sommé de me délester de quelques engins avant de passer le portique de sécurité.

- Avez-vous en présence sur vous : pistolet ou fusil ou arme semi-automatique ?
- Non.
- Explosifs ? Poudre à canon ?
- Nope !
- Lames en tout genre ?
- Ah oui ! J'ai mon opinel, tenez.
Jean-Luciole s'empare de l'objet, l'empoigne à deux mains et le coupe en deux en le pressant contre son genou.
- ! ...Connard.
- Héhéhéhéhé.

À partir de cet instant, je décide de faire preuve de mauvaise volonté dans l'exécution des tâches imposées et me contente de répondre par un signe de tête aux questions.
Ce petit manège dure une bonne demi-heure lorsqu'une alarme retentit.

- Stop. C'est l'heure d'aller à la cantine !
- Et moi je fais quoi ?
- Ben vous venez avec Jérémie et moi déjeuner au self.
- (boudant toujours) Ouais mais alors tu vois j'ai moyen envie là tout de suite.
- On a pas dit que c'était moi qui décide ? Que c'était moi la police par exemple ?
- (soupir) apparemment, si.
- Alors go to the cantine !


Et voilà que je me retrouve à choisir mon entrée-plat-dessert, plateau en main, accompagné des deux débiles de la fonction publique d'Etat.

- Prenez un flan Wool.
- Non merci.
- J'ai dit : prenez-un-flan. Vanille ou chocolat ?

J'aperçois Jérémie à quelques mètres, penchant sa lourde tête inanimée contre son plateau et gobant à même le ramequin l'un des spécimens du dit flan.

- Jean-Luciole, vous, votre collègue, vos flans et vos chiens de la casse, vous me répugnez pas mal.

- Alors ce sera vanille !

Nous prenons place tous les trois à une table en formica, entourés d'une centaine d'individus en uniforme.

- Quel âge vous avez dans votre verre vous ?
- ?
- Vous regardez en dessous de votre verre, y'a un numéro, c'est votre age.
- (m'exécutant) 9 ans.
- Moi j'ai 97. (Il regarde dans le verre de son binôme). Et Jérémie 11. Vous avez perdu, c'est vous qui allez chercher les pots d'eau. Pendant ce temps-là, on prépare votre procès verbal pour la contravention.

Lorsque je reviens, Jean-Luciole a sorti une tablette numérique d'un attaché-case. Le repas se poursuit tandis qu'il relève mon identité tout en remplissant un formulaire en ligne. 
Il termine enfin et annonce :

- Voilà ça fait mille euros.
- Mille euros pour un wheeling, vous trouvez pas ça un peu excessif ?

- La loi c'est la loi. Law is law. La ley es la ley, puta madre. Allez Woolax, c'est tout pour moi. Vous pouvez partir et vous allez recevoir votre amende dans votre boite aux lettres d'ici peu. Jérémie vous dites au revoir ?

(Jérémie fait un petit signe de la main en souriant poliment).

Je les salue avec nonchalance et me dirige vers la sortie, retrouver mon véhicule et poursuivre cette sale journée mal entamée.

THE END.

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