Solstice


      image : une page folle teinosuke kinugasa 1926

[La dernière fois, à son coucher. J'ai lavé son dentier, j'ai vu les morceaux d'épinards s'en échapper puis la faïence du lavabo les engloutir. 
Paris en juin, c'était toujours nos retrouvailles. Mes journées de marche et nos récits du soir.]


Elle a disparu de la surface du monde et cette pensée me déborde encore.
Je fais la vaisselle, larmes-larmes, je fonds dans la cuisine parce que j'ai encore saisi frontalement mon impuissance et que ça m'est apparu, tout évident en une seule fois.
On sait que l'on demeure triste longtemps et que les souvenirs s'invitent sans prévenir et que l'émotion suinte et blablabla. 
Mais le plus cruel, ce qui ronge, c'est le petit morceau manquant dans le fond des entrailles. Le vide qu'il a laissé se fait sentir lorsque le vent passe à l'intérieur, et lorsqu'il fait un peu froid.
Alors il faut vivre sans pour toujours. Ce qui accapare et empoigne les soirs domestiques, ce ne sont pas les souvenirs : c'est ce lieu lacunaire qui se contracte d'avoir été vidé et gémit tout au fond.
Je rêve encore de ta mort et je ne sais pas rêver de toi. Il n'est question que de cérémonie et de la chair inanimée qui s'en va. 
J'ai craint des années durant l'idée que nous serions séparées vite. C'était le prix à payer de la situation, parce qu'elle n'était pas ma mère et que c'est l'ordre des choses. 
Oui, je songeais au fait qu'il faudrait éprouver une tristesse inédite, mais pas la sensation physique de l'éternelle absence, qui me tracasse puis m'allonge sur le canapé encore chaque mois quand je réalise, dans un instant de rien, les membres occupés et la tête qui divague, que les humeurs me montent et qu'au milieu de mon ventre, palpite un espace creux.

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