It's where you mind wants to go
(Septembre à mars)
Le deuil est
toujours, toujours là.
Se mélange aux regrets de ce qui n'est pas advenu.
Voici que je m'apprête à ouvrir l'atelier et penser sans cesse aux aménagements.
Cette nuit, déjà au petit matin, je m'interroge sur les concessions à faire. Il ne faut pas paraître trop étrange, j'ai lissé et fait comme tout le monde.
Et
puis une émotion vive m'envahit, brûlante, tourné tournant dans
mon lit, les draps sont trop chauds.
Je
voulais t'écrire parce que ces temps-ci j'y pense.
et
moi et ma pudeur immense, puisque tout le temps je me dérobe et me
cache d'avatars en noms d'emprunt, cette nuit là, démunies, nous
songeons à toi.
J'avais
tant de choses à dire.
Bien
sûr, nous échouons là, comme les autres je débarque après la
déroute et nous rencontrons dans ce drôle d'endroit la possibilité d'un
nouveau chemin dégagé. Et bien sur, certains t'assimilent à cet
univers qui s'entrouvre.
Oui,
bien sûr, il y avait du trouble et bien des choses qui me coupaient
le souffle. Mais,
je veux dire, au delà de ça.
Seul la
nuit, sous les couvertures et l'étuve, lorsque je me retrouve à
sonder les coins de ma carcasse, seulement ici même, loin et
inatteignable : j'aimerais que tu m'écrives.
J'ai
des affaires à régler, besoin d'ordonner mes émois et de les
ranger. Je
néglige mes sensibilités, elles m'envahissent, je m'entiche de qui
m'émeut et c'est une habitude.
Mais
toi. Mais toi...mais
il est des croisements sans précédents.
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à la cuisine
Affairé à l'équeutage des haricots verts et le chat songeur assis à mes
jambes : « Le chat pensif ! » je lui adresse.
Et
revoici l'odeur.
Ça
sent chez toi, les traces d'huile chauffée, la cuisine domestique.
Les
carottes et les petits lardons qui grillottent dans la fonte, la cour
intérieure d'un midi d'école qui résonne, comme dans la scène de
M le Maudit où la mère attend Elsie qui tarde.
Ça sent chez toi, ça
sent la soupe.
J'hume, dans la lumière rasante du coucher, non
plus que cela, j'inspire comme le souffle du peu de vie encore
offerte. Je prends ce qu'il reste, menu passage, quelque sursis, et
mon organe à l'intérieur en sursaut, qui se tend et relâche toute
cette peine qui n'en finit plus et qui toujours n'admet t'avoir
perdue.
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L'âme
tiède,
dans
la ville un peu calme
après-demain
soir je plongerai
je
la verrai en toi
je
te verrai en elle
m'étendre
dans la couverture d'un film
bercée
par ces femmes lentes.
Tièdes,
toutes tièdes, ta main guidant si mal, me prenant si fort.
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Voici
la saison
mes
cheveux qui prennent la fumée des braises
cela
faisait plus d'une décennie je crois, que je n'avais pas senti
l'odeur de l'automne et du feu en ville. Puisque ici, les sensations
me sont plus douces, c'est comme si l'on
prenait soin de moi.
Elle essaie de passer, se fraie un chemin, ses bras maigres au devant. Elle éteint la lumière. En fin d'après-midi, alors qu'il faisait encore jour, j'ai aperçu ses dents. Mon corps à moi me paraît si lourd et plombé quand il confronte le sien. J'ai des os plus solides, j'ai de la maîtrise et les gestes.
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Trois
lunes troublées,
je
ne crois pas en avoir vues de telles à l'est.
Vague
nostalgie des poulardes du Fort en surplomb, de mon petit atelier,
pierres et poussières, et de cette lanterne rouge, phare, qui
veillait la ville.
Le
soir tombé j'avais peur que l'on se soit glissé dans un couloir, et
dans ma catacombe. J'aimais faire visiter aux filles de passage, dans
l'obscurité et par une torche inefficace, je menais la découverte,
je parlais, je parlais, je parlais.
Je
me fais la remarque, affalée sur le lit et la nuit presque entamée :
en fait, j'ai toujours été celui qui mène.
Octobre,
élu depuis tant d'années maintenant comme un temps qui me berce et
dans lequel tout mon être s'adapte. Les débuts d'automne sont à
mon rythme, lent et frais, la pesanteur qui s'installe et des
lumières clémentes. Tasses, je ressers les convives.
Début
de conversation achevée par le départ qui semble devoir advenir.
J'avais cette forte attraction , me tenir face à elle, si droite et
longiligne, je voulais l'assouplir contre moi.
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Dîner
d'un sandwich parce
que la fatigue, pas
celle de d'habitude, du trop plein des mouvements humains, pas
celle de la limite, de l'excès, mais celle du vide, de conversations
plates et de manques.
Je
ne suis pas fatigué.
Je
manque de.
Dans
l'atelier, je me plains, je parle en circonvolutions, je cherche à
me rapprocher du bon terme, à dire les choses précisément.
Dire
les choses précisément, le bon mot, celui qui gisait tout au fond,
je le harponne à la ligne et le tire jusqu'à l'oralité. C'est
rarement exact, alors je débite, je recommence, tente de redire.
Par
quoi ai-je été ému ces temps ?
Par
les conversations duelles des films de Hong Sang-soo et la beauté
de l'actrice principale.
Par
le rendu glacé du blanc de l'émail Kudo Matto.
Par
le petit pot fou d'une élève qui semblait comme autonome et vivant.
Par un chêne vieux de centaines d'années et par le plus jeune
de mes cousins qui a finit ma phrase, lorsque...Lorsque nous parlions
furtivement de toi et de l'image qui restera lorsque tu nous
accueillais. Je peine encore.
On
dit que l'on a peur des choses et trop d'imagination, on dit "Flo toi
et moi on ne se contente pas de ça, les autres, ils rencontrent et
ils signent le contrat, toi et moi on ne veut pas de ça, on veut
autre chose, c'est normal que ça n'arrive pas souvent, c'est normal
de galérer". On dit je suis retournée à la piscine, et la nage
papillon, je les noierai tous moi, je ne veux pas les tuer mais je
veux du silence. On dit petite mère, on dit il y avait un monde fou
en ville, et que c'est moche, mon petit chat, dansé avec mon chat,
la sangria c'est fait avec des restes de vin, mon compagnon est
banquier c'est pas si éloigné d'éduc, on dit Floriane, on dit tu
veux que je rallume le chauffage, à la semaine prochaine, de quoi
t'as peur toi, de moi.
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Le
soir lorsque j'entends au loin l'écho de ta voix rieuse tonnant
« bonsoir bonsoir ».
Si je frappe à ta porte, dans
le couloir surchauffé et que j'attends tes pas, pourrions nous
passer cette soirée ensemble ?
Quelle tristesse.
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La dernière fois, c'était lors d'un midi d'hiver à la lumière intense, au sommet. Non, c'était les adieux protocolaires de l'atelier, les visites de courtoisie. La dernière fois véritable avait eu lieu chez elle. Doucement, je suis partie en riant dans le couloir, j'ai pris l'ascenseur. C'étaient des adieux doux.
Peut-être, une fois, surgira au loin une forme longue et j'en serai si pétrifié que les temps se suspendront, que chaque mouvement entrepris alors figera comme carbonate.
Bien
sûr je m'interroge et constate que l'amour ne semble pas coûter autant
ailleurs. Il
ne parait pas advenir un tel envahissement.
Quand
je suis en lien je m'efface, c'est comme une dilution,
c'est comme si
vous m'aspiriez et me vidiez de toute ma moelle. Hormis la fuite, je
ne sais pas comment éviter ces vortex.
Je voudrais pouvoir tout retenir sans manques, et supporter la disparition
des choses. Mais comment lutte-t-on pour rester et retenir,
ça
je ne
sais toujours pas faire et je ne sais pas encore m'en remettre. Comment trouver des échappées sans briser les liens ?
Lorsque
j'aborde le sujet de ton existence qui fut et qui n'est plus, remue
au fond cette certitude.
Alors
que je parle de toi devant les bûches qui flambent, et lorsque je
t'évoque et que je maintiens péniblement le flot de ma voix sans
heurts, que je retiens si fort et que je stabilise le moindre
tremblement, que je refuse d'échapper la tristesse infinie qui
occupe la béance du creux de mon ventre, que je te cherche alerte
comme un animal dans toute chose et tout espace, remue si fort cette
certitude que l'on ne s'en remet jamais.
Et toujours
je m'interroge, où es-tu puisque tu n'es plus là ?
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