L'été des foins grillés.

 



11 juillet.

Je viens de passer deux jours fiévreux contre le matelas du lit. J'entends des enfants jouer en bas et me remémore les étés à Neuville. Les soirs au jardin, les sorties en voiture l'après-midi pour accompagner notre père au supermarché, les séances à la piscine, les promenades dans les champs, dans les chemins et autour des vallons.
Depuis que je l'ai quittée, ma région m’apparaît effroyablement hostile et les souvenirs de ses paysages me sont traumatiques.
Il s'est produit une bascule véritable. Jusqu'à présent, j'avais entretenu la continuité. Il m'importait de maintenir un lien avec l'enfance et je cultivais une véritable hygiène de la mémoire.

Je ne sais pas si c'est une question d'identité à préserver ou un besoin de garder les souvenirs comme des preuves de ce qui a pu advenir, puisque seule ma parole en est garante, mais quand je suis venu habiter ici quelque chose a changé et pour la première fois, le récit s'est clôt.

Mon psychisme ne tolère plus la liaison.


1er août.

Cet été me met à l'épreuve. Je m'interroge sur les hasards et les liens entre mes pensées et les événements. Comment se fait-il, qu'ayant tant pensé à toi ces derniers temps, relu nos instants, me souvenant de leur consistance si dense, si gonflée, prenant un tel volume en moi et dans l'atmosphère. Alors que je lis un livre sur l'intervalle, que j'y réfléchis, devant les Herbes Hautes d'Ozu, aux aguets pour repérer dans chaque plan son langage chromatique de vert et de rouge et que je pense à toi – que nous serions bien ici même enlacées – alors que je cherche en moi et que je sais avoir éprouvé ces tensions et qu'il me serait si nourrissant qu'on parle de ce que c'est de les avoir vécu.


5 août.

Cet été, il n'y a de la place pour rien et tout à la fois. Tout le loisir de penser mais le cœur si serré. Pour la première fois de ma vie, je n'ai pas su me défendre face à quelqu'un qui hurlait à mon propos. Ni me relever, ni répondre. Mes phrases ne s'organisaient pas. Je n'ai pas réagi de manière épidermique comme à mon habitude, mes réflexes défensifs, ma familière violence ne s'est pas manifestée. Avant, c'était comme une bête en moi. Elle aurait bondi, comme sortie des fourrés, hargneuse, toujours prête à surgir dès le premier appel.


Je ne suis plus comme ça, elle n'était pas moi, c'était une mauvaise compagnie.


9 août.

[Le temps qui passe empêche peu à peu la métamorphe et le jeu.]


6 septembre.

Tu m'écris tard le soir, te voici rentrée. Mon liquide devient froid. Je relis le résumé de mon rêve du 9 août et n'en ai aucun souvenir.
Quel été affreux.

Je me suis déplacé et fait tout ce je pouvais faire pour m'épargner.
J'ai attendu des nouvelles, attendu sa réponse. Je me suis englué dans des pensées des journées entières et seul le soir m'en libérait un peu.

C'était comme une longue maladie, comme une convalescence, je mangeais lentement de la glace au lait, le dos affaissé contre un épais coussin.

J'ai réfléchi, puisque cela était ma seule possibilité face à l'impuissance. Étonnamment, c'est la tristesse qui a dominé, non pas l'angoisse, ni la colère. La sidération d'être si peu considérée, parfois, et de l'injustice du déroulé des choses.
J'étais hors jeu, isolée.
Depuis juin, il y a comme un torrent en moi, et j'ignore ce qu'il charge et je me demande parfois s'il finira de se déverser. Dans les trains, sur mon lit, à vélo dans les rues, je me surprends à ne pas savoir le contenir. Il y a, je crois, une grande douleur qui se promène dans le plexus depuis trois années.

Ce soir, je n'ai pas envie de te répondre car je ne saurais pas comment faire semblant. Je ne veux plus contenir et je veux être attendue comme je vous attends.

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