Bile noire

 

IMAGE : HEINRICH SPILLMAN



En mai j'ai écrit, parce que la bile noire parfois me rattrape.


1.

Bourganeuf,

Odeur entêtante, écœurante du lait frais réchauffé dans la casserole en fer. Bois de l'escalier.

Humidité du carrelage menant au jardin et à la grande roue qui fait tourner le puits.
Repas de jambon cru-melon, gâteau de pommes de terre, Saint-Nectaire.
Ma mère critique l'habitude prise par mon grand-père de fermer tous les volets le soir.

Il y a en cet endroit plein d'étrangetés pour un enfant : cabanons au jardin dont le rôle me demeure inconnu et inhospitalier, les adultes jouent du mystère autour de ces planches de bois vieillies et sèches, délimitation floue avec la parcelle du voisin. Orties partout, fruits aigres (groseilles) aux allures de poison, portes-fenêtres donnant sur l'extérieur, grenier. Carillon de l'horloge, le son tinte encore et fait vibrer en moi tout un vertige.
Dans la salle de bain règne une odeur de shampoing au tilleul et de tapis humide. 
C'était la maison de mon grand-père.


2.

Elle dit toujours « salut » de sa voix presque éteinte. C'est l'instant qui me plait et me terrorise à la fois.


3. 
Retour

Je veux encore des étés et il m'en faudrait deux cents, retrouver herbes grillées et bocages. Sur les routes, le soleil rasant de fin de journée par la vitre du bus. Points écarlates aléatoirement placés sur l'étendue verte et mate, premiers nénuphars. Libérer jambes nues et tissu des genoux.


Dimanche et moucherons
Côté face sur mon matelas, attendant que l'orage explose enfin.


4. Les fins d'année

Immense fatigue et fatigue immense jusqu'au plus profond de tout.
Fatigue de ta mort qui m'éviscère.
Fatigue de vos fonctionnements, vous êtes toujours masqués et ne dites rien de ce qui se passe.

J'ai le cerveau en miettes. J'ai halluciné.
Je le sais pourtant qu'il est vain de nager face au courant.

J'ai fait la même chose, j'ai tricoté la même maille et me voici, incapable, à découvrir cet ouvrage immonde, rêche, si laid. J'avais cru en partant m'échapper de ces petits états d'humiliation qui nous semblent si peu délétères au présent, seuls pincements légers de l'estomac, et qui peu à peu rongent.
Je vous en veux de vos silences, je suis si en colère. Je juge si fort les lacunes volontaires des endroits de vos vies dans vos discours, je vous en veux de me vouloir à moitié. Vous passez vos récits à dissimuler au point où je ne sais plus si c'est moi qui invente.

Depuis toujours, on ne porte pas crédit à ma sensibilité mais plus j'avance, plus je constate déceler ce qui se trame, plus je sais distinguer vos pénombres et plus j'ai aiguisé mon œil à saisir votre cuisine interne. Je suis en colère, ce sont des plats infâmes.

Je suis prêt à entendre tous les impossibles, j'ai bien assez à faire avec les humeurs sous mon crâne, mais vous ne donnez aucune issue, aucun chemin à prendre, vous n'êtes d'aucune aide, vous ne faites jamais votre part, d'un égoïsme sans nom, vous me laissez tout, à moi, qui déjà toujours absorbe et ne sait que faire de vos approches. Laissez moi tranquille et laissez moi colérer.

Vous n'aurez que mes silences et tant pis pour le vide qui prendra place autour.

Et toi, ne me demande pas de me livrer, ne me regarde pas de cette manière qui ressemble de loin à du désir et que je me refuse pourtant à reconnaître comme tel. Ne viens pas me chercher, ne m'invite pas, sois claire et distante. Fais ce que tu voudras mais ne me laisse pas me débattre dans ces eaux stagnantes et lourdes qui n'auront jamais ni quiétude ni torrent.


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